«J’aurais pu réaliser vingt fenêtres avec une idée différente pour chacune, fenêtres qui se seraient appelées ‘‘mes fenêtres’’ comme on dit ‘‘mes gravures’’...»
Marcel Duchamp lors d’un entretien inédit avec Harriet Janis en 1953
«avoir l’apprenti dans le soleil»
Dessiné à la diable sur une page de cahier à musique, un petit cycliste monte péniblement une côte. C’est tout. Ce n’est pas une œuvre. Mais une notation: texte et dessin. L’apprentissage se lie à la montée: la côte est dure. S’agit-il d’une éthique? Peut-être, et sans doute: dans le soleil. Un jeu de mot étrange dérivé en aphorisme incontournable, un petit dessin intrigant, presque rien. Il ne fut pas question de faire un beau dessin, ni une belle phrase. Ils s’imposèrent, et Marcel Duchamp les nota.
Duchamp par Jean-Christophe Bailly © Fernand Hazan, Paris, 1984
note d’intention
A travers ces tableaux filmés, notre objectif est:
Donner à percevoir la manière dont nos émotions et notre rapport au vivant façonnent le monde. Nous imprégnons le monde de nos émotions et vibrons au timbre du monde qui nous entoure.
Repeindre le tableau d’une actualité qui peut sembler anodine, déplacer de quelques degrés notre angle de vue sur le quotidien, révéler l’absurde et l’incongru. Relever cette réalité commune constituée d’actes, mais aussi d’émotions, si souvent travestie et banalisée par les médias. Le magique, l’incroyable ne dépendent pas seulement d’effets spéciaux mais souvent d’une perception. Le regard peut s’habituer et se formater, si ce n’est se réduire à une certaine normalité quotidienne. Le surréalisme qui a lieu derrière cette fenêtre emmène ce regard vers d’autres horizons.
Enfin, mettre en exergue la synchronicité, le détail qui contribue au bonheur ou au malheur, le lâcher-prise qui nous trempe dans l’instant (cf Nadja – André Breton, page 13).
La réalité a toujours fasciné les philosophes et donné lieu à de multiples débats. En référence à des figures telles qu’André Breton ou Edgar Morin, tentons un renversement des règles qui nous habitent par le modelage d’une réalité dont les interactions sont sans cesse en mouvement.
Modélisons notre réalité en cinq points:
- la réalité naturelle ou l’ordre des choses. Elle se situe dans le déroulement de la scène. Il pourrait s’agir de la réalité sociale.
- La réalité personnelle. Elle est exprimée par cette ouverture (fenêtre) à travers laquelle un événement surréaliste a lieu. C’est notre monde intérieur, la manière dont nous vivons nos émotions.
- Réalité consensuelle. Elle est énoncée par la voix off et décrit une représentation commune des faits.
- Réalité réflective. La caméra, représentera le regard des autres vécu en soi.
- Réalité cybernétique (cf page 12). Représentée par des objets utilitaires dotés d’un design propre à une époque (mixer, réfrigérateur, etc.)
L’utilisation du modèle présenté ci-dessus permet aussi d’établir des liens indirects entre les différentes scènes. Le scénario s’enrichit de scènes supplémentaires au fur et à mesure du tournage afin de puiser dans l’expérience vivante l’ensemble des relations que proposent les rencontres avec les intervenants, tels des portraits filmés.
L’objet utilitaire représentant une réalité cybernétique se trouve être un objet de consommation doté d’un design propre à une époque (mixer, réfrigérateur, iPod, etc). Il prend sa place dans chaque scène, affirmant cette appartenance à un système, au progrès, à l’actuel.
Les scènes progressent selon une graduation; plus on avance, plus les personnages sont en adéquation avec leurs émotions. Leur comportement induit une situation surréaliste libératrice, comme une projection de leur psyché.
La référence aux années quarante, par conséquent à la deuxième guerre mondiale, met en évidence le fait que notre besoin de consommation remplace nos instincts guerriers, consommation de biens autant que d’information, notre attache à une société en mouvement, notre désir d’appartenance, de reconnaissance, cette force qui nous maintient dans une mouvance commune.
conclusion
La dignité, c’est peut-être oser considérer son état, cultiver un certain regard sur soi. Les actualités télévisées tentent d’y contribuer au niveau social, nous informant sans cesse de l’état de la planète à grand renfort d’images chocs.
Il s’agit cependant d’une réalité construite, indépendamment d’une volonté, par et pour un public cible en continuelle recherche de consommation et des émotions fortes auxquelles il a pu être habitué.
La guerre a lieu, sans cesse, dans notre relation au vivant. Mais l’épanouissement aussi! Nos émotions et notre rapport au vivant façonnent le monde, tant du point de vue de notre perception de ce dernier que des actes qui en découlent. La réalité nous construit et nous créons la réalité.
La Baignoire Duchamp s’inscrit dans cette problématique contemporaine et propose à la fois un microscope et un télescope posé entre ce regard public et des êtres humains ordinaires.
L’imaginaire devient alors le miroir de nos émotions...